DIJON (21)
Maison du Capitaine Tarron
(voir la page d'accueil de Dijon)


Le groupe que forme cette maison avec l'hôtel Filsjean mitoyen et la toute proche maison de Cirey, constitue un ensemble historique des plus intéressant. Situé au no 46 de la rue Chaudronnerie, cette demeure remonte en partie au XVIIIeme siècle. Cependant, la présence à proximité et dans la toute proche rue Vannerie de maisons bien plus ancienne, laisse supposer une origine médiévale de celle-ci. C'est vers les XIVeme et XVeme siècle en effet, que le chapitre de la Sainte-Chapelle, alors en possession de la majeure partie du quartier, commença à louer des terrains et de vieilles bâtisses en bois à des artisans souhaitant s'installer ici. Exerçant surtout le métier de chaudronnier, ceux-ci s’établir dans la rue qui porte encore de nos jours leurs noms. Ayant surtout fonctionné jusqu'au début du XVIeme siècle, cette activité était englober dans les métiers dit "de feu" qui représentait environ 10% de l'activité dijonnaise en 1446. On dénombrait alors une vingtaine de chaudronniers, installer pour la plupart dans le quartier de la Chaudronnerie. Cette profession ayant périclité au cours du XVIeme siècle, la physionomie de la rue s'en trouva certainement changé. On voit d’ailleurs très bien sur les plans de Bredin (1574) et de Lauro (1628) que le quartier prend des aires renaissant malgré un tissu urbain encore médiéval. De cette époque date certainement le support de puits à tête de lion encore visible dans la cour du numéro 46 de la rue Chaudronnerie.


Les changements engagés dans la rue, durant la Renaissance, s'accentuèrent d'avantage au siècle suivant, avec l'importance grandissante que prit le parlement et la chambre des comptes. Cette importance s'accentua encore au XVIIIeme siècle avec l'arrivé dans la rue de nombreux serviteur de l'état comme les conseiller au parlement, les avocats, les maîtres à la chambre des comptes, etc. Parmi ceux-ci figurent les avocats Durande, Genoudet, Forest, Lardillon, Gauthier et Demange, tous en fonction entre 1751 et 1782. Le cas de l'avocat Demange est plus particulièrement intéressant puisqu'on est à peu prés sur qu'il habita cette demeure en 1782 et qu'il payait alors la somme de 56 livres au registre des tailles. Avant d'aller plus loin et avant surtout, de parler de l'avocat Demange et de ça famille, il faut ajouter quelque précision concernant l’étymologie du nom Demange. Dérivant du mot "Dimanche", qui était souvent employé comme nom de famille, il s'orthographiait très fréquemment "Demanche" et pouvait prendre des terminaisons en geat, geot, geont, etc. Le double emploie des noms Demange et Demanche que l'on retrouve indistinctement dans les diverses archives ne facilite pas la tache. Les recherches en généalogie ne nous aide guère non plus, vu que les deux noms semblent avoir coexisté à la même époque.

Nous parlerons donc des deux familles en commençant par celle des Demange. Celle-ci semble être originaire de Semur-en-Auxois puisqu'un certain Guiot Demange y est mentionné dés l'année 1459. Disparaissant des registres durant plus d'un demi-siècle, le nom réapparaît en 1527 lorsque le marchand Perrenot Demange reçoit du Chapitre de Saint-Etienne de Dijon, une rente de 36 livres. Il faut ensuite attendre 1604 pour que le nom refasse surface. Il est alors question d'un Jean Demange qui est nommé au poste de grainetier au grenier à sel de Saulx-le-Duc. Résignant ça charge en 1612, ce dernier devient contrôleur des mesures et lieutenant au même grenier à sel en 1630. Après lui, son fils Jean-Baptiste devint officier de la monnaie et prévôt. Habitant à Dijon, il semble avoir eu des ennuies financier, puisque ces deux maisons de la rue du Pautet furent saisies puis achetées par Jacques Joly. Habitant lui aussi Dijon, son fils Thomas occupa le même poste que son père à la monnaie et fut également procureur spécial, conseiller du Roi et fermier général vers 1685. Ayant lui aussi des soucis d'argent, il du se séparer en 1706 d'une tenture de tapisserie qui fut saisie à son domicile. Sur son fils Jean-Baptiste, on sait juste qu'il fût baptisé à Langres en 1675 et qu'il fut greffier du bailliage. Ca naissance à Langres et le flou concernant la ville dans laquelle il exerça son poste de greffier semble indiquer qu'il n'habitait plus Dijon. En revanche ça sœur Louise Remonde Demange, vécu à Dijon et s'y maria en la paroisse Saint-Philibert avec Jean David en 1699. D'un second mariage avec Georges Vestu de Saint-Denis, elle eut plusieurs enfants qui vécurent sur la paroisse Saint-Michel à Dijon. A la suite de ces deux personnages, la ligné des Demange semble s’être éteinte. Cependant la présence à Dijon d'un Pierre Demange qui est qualifié de bourgeois prouve qu'une branche continuait d'exister. Marié avec Marie-Thérèse Fromageot le 26 juillet 1746 sur la paroisse Saint-Michel, ce dernier vécu dans la rue du Bourg ou il passa un bail à cens le 6 juin 1748. Tout laisse à penser qu'il était mort avant 1775.


Blason de la famille Demanche
"d'azur à une manche d'or"
(Armorial général du Duché de Bourgogne,
par Charles d'Hozier, 1696,
"Bibliothèque Nationale de France")

L'absence de documentation sur la famille Demange pour la fin du XVIIIeme siècle, nous oblige à nous intéresser au Demanche pour combler se vide. Ces deux familles, qui en apparence sont sans lien, sont confondues par André Bourrée dans son livre "La Chancellerie prés le Parlement". Lorsque celui-ci parle de l'épouse de Georges Vestu de Saint-Denis, il mentionne une Louise Remonde Demanche alors que les registres paroissiaux de Saint-Philibert son formel à ce sujet, c'est bien sous le nom de Demange que la famille est connue.
Concernant la famille Demanche, ces origines sont plus récentes et se situent elles aussi à Semur-en-Auxois. Elle remonte au maximum à Jacques Demanche qui fut contrôleur au grenier à sel de Semur en 1616. Peut après, et sans que l'on sache s'il avait un lien de parenté, nous avons Jean Demanche qui se maria avec Philiberte Lemulier et mourut en 1629. Après lui, son fils Jacques (mort en 1680) fut contrôleur du grenier à sel de Semur. Marié deux fois, il épousa en première noce Barbe Claude Mynard et en seconde noce Jeanne André qui lui donna trois enfants dont Michel (né en 1638) qui fut conseiller au bailliage de Semur. Barbe Claude Mynard lui donna quant à elle, probablement deux enfants. Jacques, le premier naquit en 1645. Il fut vice-bailli d'Auxois et se maria en 1677 à Marie Jacquin. De leur union, ils eurent un fils Louis (1697-1769) qui fut lieutenant criminel au bailliage de Semur. Marié avec Marie Jacob en 1721, ce dernier eu une fille Edmée Pierrette qui épousa un membre de la célèbre famille Bretagne. Le second fils de Jacques, plus hypothétique, se prénommait François. Devenu avocat au parlement de Dijon, il rentra en possession des terres de Courtine et Massingy prés de Semur, puis épousa Claude Henry. Il en eut une fille Claire, qui se maria en 1703 avec Lazare Bizouard de Montille.


Parallèlement à cette branche, la ville de Semur-en-Auxois voit également coexister d'autre Demanche, comme par exemple Philibert Antoine. Pourvu d'un poste d'avocat dans l'office de maire à Semur en 1751, ce dernier était aussi lieutenant général de police. Marié avec Philiberte Baudenet il eut une fille, qui épousa Antoine Nicolas Joly en 1776. Il eut aussi un fils, Louis Adrien qui fut maître à la chambre des Comptes en 1780 et devait certainement vivre à Dijon. Comme on a pu le voir, les Demanche, dont le fief était Semur depuis le début du XVIIeme siècle finirent par s'installer à Dijon au siècle suivant. C'est le cas d'Antoine Demanche qui fut conseiller auditeurs à la chambre des comptes en 1744. Marié en 1733, sur la paroisse Saint-Michel avec Marie Françoise Caillet il eut un fils prénommé Jerome-Etienne (1742-1812). Devenu avocat à la cour, ce dernier eu un fils Louis, né en 1782. Enfin, Lazare Demanche qui était certainement lui aussi membre de cette grande famille devint chanoine de l'église Diocésaine d'Autun en 1746. Ayant tout d'abord œuvré à l’hôpital Saint-Jacques de Semur jusque vers 1734, il quitta le bastion familial pour s'installer dans la capitale Eduenne et mourir en 1780.


C'est donc vers cette époque que l'une de ces deux familles habita le 46 rue Chaudronnerie. Compte tenu des dates, on peut légitimement penser que c'est l'avocat Jerome-Etienne Demanche (1742-1812) qui y vécu. En regardant de plus prés la façade et la décoration qui surmonte la porte on peut même se demander si ce dernier n'est pas à l'origine de tout ceci. S'élevant sur deux niveaux la façade en calcaire blanc possède au niveau des combles une petite lucarne à pan triangulaire. Au niveau inférieur, l'étage noble est éclairé par un ensemble de cinq fenêtres rectangulaire reposant sur des tables affleurées. Le rez-de-chaussée comporte trois haute fenêtre cintrée. En dessous prennent place trois trappons de cave bouchés. La porte d'entrée gauche, fort simple, est à deux battants de bois. Elle présente une légère mouluration en bande sur ça partie supérieure. Celle de droite plus ornée semble dater du troisième quart du XVIIIeme siècle. De forme cintrée, elle possède, elle aussi deux battants de bois. Coupé en deux, le tympan est orné d'une console décoré d'un bouton, d'entrelacs et de fleurs ressemblant à des lys. Au-dessus, la guirlande de fleurs à ces exterminées accrochées à deux consoles feuillagées à entrelacs. En son centre trône un cartouche martelé, présentant de minuscules volutes.


Blason de la famille Masson d'Autume
"d'azur, au chevron d'or,
accompagné de trois glands du même"
(Armorial général du Duché de Bourgogne,
par Charles d'Hozier, 1696,
"Bibliothèque Nationale de France")

Due probablement aux marteaux des révolutionnaires, ces dégradations ne laisse malheureusement plus voir le blason des propriétaires d'alors. A la suite de ces infimes transformations extérieures, l'immeuble passa sans encombre le début du XIXeme siècle et fut probablement racheté une ou plusieurs fois durant l'empire. Continuant d’être habité durant la restauration il se trouve en possession de la veuve Caroline Masson d'Autume en 1841. Auparavant marié à Charles Gaultier de Tanyot (1770-1837), celle-ci eu deux filles et devaient certainement vivre dans cet immeuble depuis un certain tant au moment du recensement de 1841. L'accroissement de la population que connu Dijon sous le règne de Louis-Philippe et les difficultés qu'avait la noblesse à entretenir de grand immeuble, à cette époque, furent à l'origine des changements radicaux qui s’opérèrent dans cette maison. Le recensement complet pour la période allant de 1836 à 1936, permet en effet de tirer quelque conclusion. Majoritairement habité par des familles issues de la noblesse de robe, du XVIIIeme au milieu du XIXeme siècle, la maison l'est ensuite par des familles non nobles puis par de simple locataire à la fin du XIXeme siècle. Scindée en deux numéros distincts (46 et 48), des le début du XIXeme siècle, elle permit ainsi à la veuve Masson D'autume de louer une partie de ça demeure à la famille du précepteur Dubois et à celle du receveur des postes Blanchelaine. Ayant acheté la demeure vers 1846, ceux-ci loue à leur tour un petit appartement à l'abbé Louis Beulot, que l'on installe au no 46. Devenue veuve en 1851, la femme du receveur Blanchelaine continue ce système et loue un appartement au postier Joseph Boncerd. Vers la même époque, la femme du précepteur Dubois ayant disparu, ce dernier propose la même chose à l'avocat Claude Nicolas Gueneau de Mussy (1823-1871) qui vit un court instant au numéro 48. Après avoir tous quitté les lieux, l'immeuble fut racheté par la famille de l'instituteur Carré qui s'y installe vers 1856. Restant à leurs tour pour une courte durée, ceux-ci laisse la place vers 1866-1869 à l'abbé Perrot, la famille Girandet et les trois sœurs Millot, elle aussi des institutrices. Continuant d'habité les lieux en 1872, celles-ci partage la maison avec le dentiste Leroy et avec la famille Calmetet qui est certainement propriétaire de l'immeuble.


Le capitaine Edouard Tarron à bord de son biplan Maurice Farman
Orléans, Avril 1911
Carte Postale aux Editions "Louis Lenormand Orléans"

Continuant d’être louer par l’éducation nationale jusque vers 1896, la maison voit alors s'installer quatre institutrices. Poursuivant la démarche jusqu'en 1906, le milieu enseignant place alors une maîtresse d’école, un professeur et une institutrice. Parallèlement au corps enseignant, l'immeuble accueil dés 1878 des militaires en activité ou à la retraite. C'est le cas du capitaine Eugene Charles Tarron. Né à Verdun en 1845, d'un père menuisier, il s'engage volontairement dans l'armé en 1863. Nommé lieutenant de la compagnie de carabinier de Verdun en 1870, il se marie avec Julie Pierre en 1876 et rejoint le 27eme régiment d'infanterie la même année. Après ça participation à la guerre Franco-Prussienne de 1870 et aux campagnes d'Afrique, il se pose enfin et s'installe dans cette maison vers la fin des années 70. Reçu chevalier de la légion d'honneur en 1883, il déménage pour la rue Sambin et devint capitaine au 109eme régiment d'infanterie de Dijon en 1884. Muté à Chaumont en 1885, il est promu capitaine au 27eme de Ligne de cette ville la même année. Arriver au point culminant de ça carrière, il prend ça retraite dans cette ville et meurt en 1900. Son fils, qu'il prénomme Edouard, né le 16 janvier 1878 dans cette maison. Devenue un brillant ingénieur militaire, ce dernier sort de l'École Polytechnique en 1898 et devint lieutenant au 4eme régiment du génie de Grenoble en 1900. Peut après, il invente un pont de campagne qui porte encore son nom. Toujours réglementaire dans l'armée des Alpes ce dispositif permet le franchissement des torrents et des ravins en montagne. Fait de charpente de fil de fer et de cinquenelles, il peut avoir une portée d'environ 35 mètres. Ces compétences n'étant plus à prouver, il part en janvier 1902 pour la Guinée française où il fait partie de la mission du Chemin de fer de Konakry au Niger. Placé sous les ordres du gouverneur des colonies Salesses, il y reste jusqu'en octobre 1903. A son retour, il est nommé capitaine du génie en juillet 1904 et affecté peut après à l’état-major de la place de Toulon. Restant dans cette ville plusieurs années, il s'y fait remarquer en réalisant plusieurs constructions en ciment armé. Trouvant le temps malgré ces multiples travaux, de prendre une épouse, il se marie à Paris en 1909 avec Marie Daymard (1880-1910). Passionné depuis toujours par l'aviation encore naissante, il demande en janvier 1910 son rattachement au laboratoire de recherche sur l'aérostation militaire basé à Chalais-Meudon. Continuant ces travaux de recherche, il imagine et fabrique un hangar démontable pour aéroplanes à montage et démontage rapide. Passant son brevet de pilote aviateur en janvier 1911, il expérimente dans les mois suivant un anémomètre, un contrôleur de vitesse et un stabilisateur longitudinal automatique.


Monument au Capitaine Tarron
Villacoublay, 1911
Photo en noir et blanc

Testant ce matériel lors de nombreux essaie en vol entre Chartres, Etampes et Orléans, il partit confiant de cette base à l'aube du 18 avril 1911 à bord de son biplan Maurice Farman du type militaire. Effectuant un vol sans encombre, il arriva en vue de l’aérodrome de Viilacoublay vers les 6 heures 40 du matin. Arrivé en face des hangars du camp d'aviation son appareil sans que l'on sache vraiment pourquoi, chuta fortement et vint se briser au sol. Tué sur le coup, le capitaine Tarron fut éjecté de l'appareil et vint rebondir une vingtaine de mètre plus loin. Dans ça chute, son corps et son crâne se brisèrent en plusieurs morceaux et un os de la jambe vint perforer la poitrine. Son corps sans vie fut immédiatement placé sur une civière et emmené dans un hangar. Peut après de nombreuses autorités militaires se rendirent sur les lieux et ça femme fut prévenue. Transporté à la gare de Villacoublay, son corps fut enseveli avec tous les honneurs au cimetière de Montmarte à Paris. La même année, les municipalités de Villacoublay et de Dijon décidèrent de rendre hommage à ce grand homme. Elles lui érigèrent plusieurs monument, dont un buste en bronze et une plaque commémorative sur ça maison natale de Dijon.


La vie courte et intense qu'eu le capitaine Tarron nous ferait presque oublier l'histoire que connu ce monument en cette fin de XIXeme siècle. En effet après le départ de la famille Tarron au milieu des années 1880, l'immeuble fut repris par le chef de Bataillon Albert Caron et ça famille. Occupant les lieux en 1891, ce militaire partage ça demeure avec le chef des postes Alfred Vernet. D'autre militaire le remplacèrent par la suite. A commencer par le chef de bataillon dans le génie Thaujellur en 1906, puis le lieutenant Louis Matry de 1926 à 1936 et enfin l'ancien chef de bataillon Marius Bouchet de 1931 à 1936. Cette occupation par des militaires sur une période dépassant les cinquante ans, laisse à penser que l'armée devait louer une partie de l'immeuble pour ces soldats de haut rang. N'étant pas propriétaires, ces derniers partageaient la maison avec des personnes aussi diverse que le professeur d'escrime Achille Lespagnol en 1906, l'architecte André Parizot (vers 1920-1925) ou l'avocat Jacquinot (vers 1925-1935). Parallèlement, durant les périodes d'inoccupation militaire, l'immeuble fut habité par Clement de Clock, un agent d'assurance père de huit enfants qui habita les numéros 44 et le 46 en 1906, par Victor Cival, rédacteur à la préfecture en 1911, et par le chef de banque Chevignard de 1921 à 1936. Continuant d’être habité pendant la seconde guerre mondiale et durant l'après-guerre, l'immeuble est de nos jours occupés par un syndic de copropriété, un groupe d'assurance et une agence immobilière.