DIJON (21)
Maison au 79 rue Jean-Jacques Rousseau
(voir la page d'accueil de Dijon)


Lorsque l'on arpente de nos jours la partie basse de la rue Jean-Jacques Rousseau, la plupart d'entre nous ignorons que cette portion de rue s'appelait à l'origine "rue du Pilori". Débutant à l'angle de la rue Chaudronnerie et finissant au niveau de la rue d'Assas, elle devait son nom au poteau qui avait été installé la pour l’exposition des condamnés. Attaché et pris dans un carcan, ces derniers, en général des maris adultère et des bigames, subissaient la torture et les sarcasmes de la foule venue au tout proche marché de Champeaux. Commandé par les maires et échevins et construit en 1511, ce pilori avait la forme d'une tourelle à six pans de maçonnerie et charpente. La décoration exécutée par Guillaume Jacques était constituée de quatre écussons aux armes de la ville et peint à l'huile dans les tons or et azur. Devenue obsolète et remplacé quelques années plus tard par le gibet de la place du Morimont, ce pilori finis par être démonter et vendu au profit de la caisse municipale. Très passante, l'artère dans laquelle était installé ce pilori, était connu également sous le nom de "rue du marché". Elle était bordée d'atelier et de commerce dés le début du XIVeme siècle. Un même atelier (situé légèrement plus haut que le 79 de la rue Jean-Jacques Rousseau) voit s'y succéder le chaudronnier Jehan Perrin vers 1380 puis le fondeur Joseph Colart en février 1385. Bien plus tard et toujours dans le même coin, ce fut au tour du célèbre peintre et géomètre Edouard Bredin de s'installer dans la rue, comme le montre le rôle de la taille pour l'année 1566. Au siècle suivant, le quartier étant devenu un peut plus résidentiel, on vit alors apparaître les premier parlementaire. L'un d'entre eux, Chretien Martin, habitait en 1655, rue du Pilori lorsqu'il fut mentionné dans le livre des dépenses du palais pour ces fonctions d'avocat du roi à la table de marbre. Vers le milieu du siècle suivant, on trouvait au bout de la place que l'on appelait alors le coin des cinq rues, des bourgeois comme Pierre Grignon, visiteur des haras du Roi aux bailliages de Beaune et de Nuits, François Popelard (1721- 1787) Greffier au Parlement de Bourgogne et l'avocat au parlement Claude Micault (mort en 1742), père de Jean-Baptiste, auteur du célèbre "Mercure Dijonnais".



Dessin figurant la rue du Pilori et le quartier des Halles
D'aprés "Le vray pourtraict de la ville de Dijon "
Par Edouard Bredin, 1574
Archives Municipales de Dijon


Cette maison qui portait avant le XIXeme siècle le numéro 28 de la rue du Pilori, semble datée en grande partie du XVIeme. Les baies en anse de paniers du rez-de-chaussée et les arcs en accolades des fenêtres du premier correspondent aux styles de cette époque. Traité sans fioritures et dédiée certainement au commerce, la grande façade fut pourvue au XIXeme de fenêtres plus importantes afin de mieux éclairée l'étage noble. Les combles munis de lucarnes saillantes sont surmontées d'une toiture à pans coupés. La décoration, fort simple, se concentre sur le bas-relief et la chouette sculptée qui orne la façade. Placé de profil et entouré par l'ébauche de deux petits chapiteaux ionique, cette dernière ce tien au sommet de la baie principale. Placé entre les deux fenêtres du premier, le bas-relief figure un bœuf couché sur un lit de fleurs en pierre. Datant de l'époque romaine et prélevée dans les ruines du castrum gallo-romain, ce morceau de sculpture est comparable à ceux conservés au musée archéologique et aux sculptures réemployées sur la façade de l'hôtel Vesvrotte. Le choix d'un bœuf couché pour orner cette façade était-il le simple fruit du hasard ou signifiait-il quelque-chose pour le propriétaire des lieux ? Faut-il y voir un message de la part de ce dernier ? En effet, le propriétaire des lieux devait certainement avoir l'embarras du choix parmi la multitude de pierre sculpté d'époque romaine qui circulait en ville, alors pourquoi avoir choisit celle-ci ? On peut se demander si ce dernier n'était pas boucher vue le motif utilisé. La présence à proximité, des halles de Champeaux tendraient à renforcer cette hypothèse. Ce bas-relief aurait donc servit d'enseigne à un commerçant travaillant au rez-de-chaussée de la maison.


Louis Trutat en artilleur de la garde national de 1830
dit "Portrait du pére de l'artiste" 1847
Tableau par Felix Trutat (1824-1848)
Collection Bénigne Guillot

Visible sur le plan de Bredin daté de 1574, cette maison passa les siècles sans encombre et arriva au début du XIXeme siècle entre les mains de Louis Trutat. Originaire de la région et parti s'installer à Paris lorsque Denis-Thomas Trutat devint avocat au Parlement au début du XVIIIeme siècle, la famille Trutat revint à Dijon vers le milieu de ce même siècle pour se rapprocher de ces origines. Soucieux de se donner une descendance, Denis Thomas épousa Anne Batelard et eu deux fils. L'un d'entre-eux prénommé Claude (1764-1852) fut perruquier et ouvrit une boutique dans la rue Jeannin. Son fils Louis (née en 1797) s'orienta quant à lui vers le métier des armes. Servant tout d'abord dans l'artillerie, il ouvrit par la suite une armurerie dans la rue des Godrans. Marié vers 1820 avec Emilande Plagnet, ils déménagèrent et vinrent s'installer dans la maison du 28 rue du Pilori. Ne pouvant plus subvenir au besoin de ça famille et devenue simple agent de police vers 1846, il fut contraint de quitter cette demeure et s'installa au 17 rue Saint-Martin. Il finit ça vie dans la rue Verrerie et mourut avant 1856. Originaire de Saint-Jean de Losne, ça femme ne lui donna qu'un seul et unique fils, le peintre Felix Trutat.


Portrait de l'artiste et de sa mère
par Felix Trutat (1824-1848)
Dijon, Musée des Beaux-Arts

Bien connu des milieux artistiques, celui-ci naquit le 27 février 1824. Choyé par les siens et surprotégé par une mère excessivement présente, il eut très tôt des prédispositions pour les arts et le dessin. N'étant pas très doué pour les études, mais crayonnant fort bien, il fut reçu à l’âge de treize ans à l'école des beaux-arts de Dijon que dirigeait Anatole Desvoges. D'un niveau supérieur à ces camarades, il obtint en 1839 le second prix de dessin et se fit décerner les premiers prix pour les années 1840 et 1841. S'essayant aux portraits durant cette période, il commença par les siens alors qu'il n'avait que quinze ans puis fit ceux de ces amis, parents et voisins. Obtenant une bourse de 800 francs à la fin de son cycle d'étude, il partit alors pour Paris afin de se perfectionner et de copier les grands maîtres du Louvre. Entrant tout d'abord dans l'atelier du peintre Léon Cogniet (1794-1880), il fut ensuite l'élève du jeune paysagiste Pierre-Paul Hamon (1817-1860). Se liant d'amitié avec les peintres Felix Ziem (1821-1911) et Eugène Guillaume (1822-1905), il fit, à leurs contacts évoluer son style et finit par présenter une toile au salon de 1845. Passé alors inaperçu cette œuvre "le portrait de Madame Hamon" finit bien plus tard par rejoindre les collections du musée du Louvre. Ne restant pas sur un échec, le jeune Felix Trutat réalisa alors le portrait d'une femme nue couché sur une peau de léopard. Offert par son auteur à la ville de Dijon, cette "Bacchante" fut à son tour refusée car jugée trop scandaleuse. Renvoyée à Paris, elle finit dans les collections du musée du Louvre. Remarqué finalement par Théophile Gauthier lors du salon de 1846 pour son "autoportrait avec ça mère", son œuvre eu enfin une certaine renommée et reçu les éloges des critiques d'art. Malheureusement, ça santé qui commençait déjà à cette époque à décliner, le contraignit à rentrer à Dijon pour être soigné. Se reposant mais continuant à peindre les portraits de ces proches, il atteignit durant cette année 1847 le point culminant de son art. Il réalisa alors, les portraits de son père, en artilleur de la garde national de 1830 et le portrait de ça grand-mère, Madame Anne Cazée. Devenue trop faible et manquant d'air pur, ça mère l'emmena à Talent dans l'espoir d'une guérison. Celle-ci ne vint point et il fut ramener mourant à Dijon au 34 rue Verrerie. Il s’éteignit d'une phtisie le 8 Novembre 1848. Prolifique malgré la brièveté de ça vie, Felix Trutat laissa une cinquantaine d’œuvre visible pour la plupart dans les grands musées Français. On lui doit entre autre :

- UNE TETE DE CHRIST MORT
- UN PORTRAIT DE PIERRE PAUL HAMON
- LE MARTYRE DE SAINT PIERRE DE VERONE
- UN PORTRAIT DE MADAME JEAN BAPTISTE CARRE
- UN PORTRAIT DE MADAME FRANCOIS LAGUESSE
- UN PORTRAIT DE MADAME BENIGNE CARRE
- UN PORTRAIT DE JEAN BAPTISTE CARRE
- UN PORTRAIT DE JOSEPH CARRE
- UN PORTRAIT DE MADAME HAMON
- UN AUTOPORTRAIT A L'AGE DE QUINZE ANS
- UNE FEMME NUE SUR UNE PEAU DE LEPOARD
- UN AUTOPORTRAIT DE L'ARTISTE ET DE SA MERE
- UN PORTRAIT DU PEINTRE EN BATIMENT BORNET
- UN PORTRAIT DE SON PERE EN ARTILLEUR
- UN PORTRAIT DE MADAME ANNE CAZEE
- UN PORTRAIT DU MENUISIER CORNILLOT
- UN PORTRAIT DE MADAME TETOT


Jacques Echalié (1813-1891)
Photographie monochrome
Leautté frère 1867
Collection particulière

Le suivit déjà difficile des occupants de cette maison pour le début du XIXeme siècle est rendu par la suite encore plus incertain avec le changement fréquent du nom de la rue. Heureusement, Eugene Fyot dans son livre sur Dijon nous apprend quel s'appela rue Saint-Nicolas jusqu’à l'an II (1794), puis qu'elle pris le nom de rue Jean-Jacques Rousseau jusqu'en 1816. Reprenant à cette date son nom d'origine, elle le conserva jusqu'en 1883 puis fut finalement rebaptisé rue Jean-Jacques Rousseau. Enfin, lorsque l'on sait que le cadastre Napoléonien réalisé avant 1815 situe cette bâtisse au 477 rue du Pilori, on finit par être totalement perdu. C'est une fois de plus grâce aux recensement de la population que l'on arrive à suivre les différents propriétaires et locataire qui se succédèrent après le départ de Louis Trutat. Débutant en 1836, ce dénombrement montre que la maison fut en grande majorité occupée par de petit commerçant. S'y succède à partir de 1841 le pâtissier Jacques Echalié (1813-1891) et ça femme Marguerite Perny (né en 1816). Devenue par la suite négociant en beurre puis rentier, il eut un fils qui devint marchand de levure et une fille maître d’hôtel. Changeant de main, la maison devint vers 1851 une fabrique de pain. Tenue par François Pilleron et son fils Claude, cette boutique était également occuper par le farinier Joseph Focillon. L'étage servait quant à lui, d'atelier au tailleur Charles Tupin. Devenue marchand de moutarde, François Pilleron continu d'occuper seul la bâtisse à partir de 1856. Vendu par la suite à un certain François Douaire, la boutique fut louée vers 1861 à Jean Chassagne, un marchand de parapluie. Connu également pour être chapelier et cordonnier, la famille Chassagne est présente à Dijon sur toute la seconde moitié du XIXeme siècle.


La location des locaux vers 1866 au ferblantier et poêlier Jules Malgat (1840-1874) du certainement entraîner des modifications importantes du rez-de-chaussée. En effet l'usage de marteau, de masse, d'enclume et de petite forge contraignit probablement M. Malgat à faire des travaux. Ces bouleversements durent se poursuivre dans la décennie suivante, puisque la maison vit se succéder entre 1872 et 1886, l'épicier Joseph Hippolyte Vielle, le menuiser Louis Beuchon et le chapelier Claude Jolibois, puis le ferblantier Jean Roddier, le serrurier Gustave Bornier et le costumier Jean-Baptiste Pellhoret. Comme on le voit au travers de cette liste de métier, la maison était depuis le milieu du XIXeme siècle essentiellement loué à des artisans travaillant les métaux et le tissu. Cette vocation artisanale changea légèrement lorsque la maison fut achetée par le menuisier Blin vers 1881. Loué ensuite au vigneron Bénigne Josserand (1840-1908), elle fut par la suite habitée par le capitaine Guy en 1891 puis par l'avocat Laurain et le conseiller à la préfecture Victor Roederer en 1896. Au tournant du siècle on voit la maison revenir à ça vocation initiale. Elle est alors habitée par un des membres de la famille Chassagne qui travaille toujours dans le textile. Arrive ensuite le tonnelier Michel Maitrejean qui partage ça boutique avec le doreur Felix et le plâtrier Tessier. Au lendemain de la première guerre mondiale, la demeure est occupée par le serrurier J-B Marlot et le tapissier Goulin. On y voit ensuite se succéder le cultivateur Pellery et à partir de 1936 le monteur Tartain. De nos jours la maison est occupée par les assurances Bailly qui sont présente à Dijon depuis 1907.