DIJON (21)
Hôtel Pouffier
(voir la page d'accueil de Dijon)


C'est avec la famille Damas originellement propriétaire d'un terrain situé dans l'actuelle rue d'Assas que débute l'histoire de ce pâté de maison. Connue très tôt sous le nom de "champ Damas" puis par déformation sous le nom de "Champ de Mars" cette parcelle fut vraisemblablement achetée par un "Damas, seigneurs de Marcilly, vicomte de Chalons-sur-Saône" au début du XIVeme siècle. Originaire du Forez et fondé par Dalmas Ier au début du XIeme siècle, cette grande maison s'implanta en Bourgogne dés la fin du XIIeme siècle et fut en possession d'une grande quantité de terre (seigneuries de Cousan, de Marcilly, d'Aubières, de Lugny, vicomtés de Chalon, comtés de Thianges, de Sassangy, baronnies de Crux, de Digoine...). Egalement possesseur de l'hôtel de Thianges situé rue Charrue, cette famille se sépara de ce champ au début du XVeme siècle pour ce concentré sur d'autres terres. Racheté par la ville, le terrain fut loué à cens peut de temps après. On y voit alors des familles de vignerons comme les Gousselin, les Pâtissier, les Lusey, les Arbelot, les Michoteaul, les Laurent et les Parigot. On y trouve aussi en 1437 un certain Sansonnet le Monnoyer et quelque courroyer (artisan spécialisé dans la finition des cuirs et des peaux) apparaissent au abord de cette place.


Blason de la famille Damas

La construction de toutes ces maisons à un endroit ou l'eau était quasiment absente obligea la ville à construire une fontaine au Champ-Damas en 1445. Amenée depuis la source de la Ribotée et conduite dans des canalisations en bois, l'eau était reçue dans un bassin en pierre d'Is-sur-Tille surmonté d'une tête de lion. Réparée une première fois après 1515 par les charpentiers Jean Charmillet, Drouhin Dacier, Jacques Rateau et déplacé prés de la tour Saint-Nicolas cette fontaine fut finalement supprimée en 1534 pour des raisons financières. Comme on pouvait s'y attendre, l'installation d'une fontaine sur une parcelle qui était auparavant essentiellement agricole, facilita le développement des commerces et de l'artisanat. Protégé par les remparts de la porte Saint-Nicolas, ces marchands remplacèrent peut à peut friches et vignobles par un tout nouveau quartier d'habitation. Durant cette période, le nombre de personnes résidant rue et quarré du Champ-Damas ne cessa de croître. Dévolue au départ au commerce et à l'artisanat (on y rencontre des "courroyer" et des vignerons), la rue se transforma par la suite en zone résidentielle.


Blason de la famille Arbelot

On y voit alors des figures comme Jean Arbelot (mort en 1516) qui était probablement parent avec la famille de vigneron déjà rencontré. Exerçant tout d'abord le métier d'épicier, il devint par la suite valet de chambre du duc Charles le Téméraire (en 1459) puis procureur général au parlement de Bourgogne (de 1496 à 1514), chevalier anobli en 1501 et enfin seigneur de Deulley et de Drabon. Vers la même époque, on retrouve un joueur de tambour nommé Perrin Bassigny en 1460 ainsi que Jehan Perrot (parent probable de l’échevin Jean II Perrot) et le noble Richard Thibaut pour l'année 1484. Déjà fortement peuplé, la rue du connaître une nouvelle augmentation de ça population après le siège des Suisses en 1513. Souhaitant profiter des nouvelles fortifications mise en place, de nombreuses familles vinrent sûrement s'installer à cette période. On distingue alors dans cette rue deux figures fort différentes. Celle tout d'abord du peintre Etienne Magault (actif de 1500 à 1556), travaille aux décorations des entrées de François Ier et Henri II en 1521 et 1548 et réside "carré du Champ-Damas" de 1536 à 1546.


Dessin figurant la maison de Jacques Fournier
D'aprés "Le vray pourtraict de la ville de Dijon "
Par Edouard Bredin, 1574
Archives Municipales de Dijon


Plus énigmatique, le philosophe et mathématicien Pierre Turrel (vers 1470-1547) débuta ça carrière comme recteur des écoles de Dijon (de 1517 à 1531) avant de devenir astrologue et écrivain. Natif d'Autun, il fut l'auteur de trois livres, "le Computus novus", "Le période du monde" et "l'almanach pour l'an 1523" qui lui valurent un procès pour sorcellerie en 1526. Figure importante de la Renaissance spirituelle à Dijon, ce brillant lettré fut peut-être celui qui fit construire en 1523, la tour d'escalier et les bâtiments qui à l'Est, bordait la cour du futur hôtel Pouffier. Encore présente sur le plan dessiné par Edouard Bredin en 1574, cette tour d'au moins deux étages se terminait alors par une toiture à pans aiguë. Situé à l'angle de l'ancienne rue du Champ-Damas et de la vieille rue Saint-Nicolas, cette habitation fut achetée quelques années plus tard par le marchand grenetier Jacques Fournier. Devenue échevin de la porte Saint-Nicolas en 1594, il conspira au coté du maire Jacques Laverne, puis tenta de s'emparer de la tour Saint-Nicolas. Mis en fuite puis accusé de trahison, il fut finalement condamné et placé en résidence surveillée. Ca peine ayant été réduite, il fut commis aux soulagements des pauvres et du se résoudre à vendre ça maison pour rembourser ces dettes en 1596.


Blason de la famille Pouffier

Acheté par Benigne Pouffier (mort vers 1608) cette maison se composait alors d'un bâtiment en L qui ceinturait une cour placée à l'Ouest. Protégée par un mur cette cour était accessible au moyen d'un portail en bois gardé par un concierge logé dans une petite bâtisse à galandage. Plus au Nord, une seconde cour abritait un pressoir caché sous une halle couverte de laves. Occupant un poste à la chambre des comtes entre 1587 et 1608, Benigne était le fils de Jean Pouffier, un riche marchand qui avait fait construire la maison des Cariatides dans la rue Chaudronnerie. Ayant probablement été amputé de ça vieille tour Renaissance, cette maison faite de bâtiment épars, passa par la suite à son fils aîné, le conseiller au parlement Jean-Baptiste Pouffier. Marié avec Catherine de Mucie, celui-ci occupait le rez-de-chaussée de l’aile en retour d’équerre donnant sur la rue Saint-Nicolas. Peut enclin à faire de nouveau travaux, Jean-Baptiste se contenta de faire installer une cheminée en bois sculpté, orné de dorure et présentant les armories des Pouffier et des Mucie. N'ayant pas eu d'enfant, la maison passa à ça mort en 1679 à son neveu Hector Bernard Pouffier (1658-1736) qui deviendra par la suite doyen du parlement.

Plus dispendieux que son oncle, Hector Bernard consacra de belle somme à l’embellissement et à la restauration de ça résidence. S'improvisant architecte, il conçut les plans de deux corps de logis d'une longueur de plus de 50 pieds chacun et donnant sur l'ancienne rue du Vertbois. Pour ce faire, il fit raser en 1681 la maison du portier, les latrines, les écuries et détruisit la halle du pressoir. Malgré toute ces destructions, on sait qu'il restait encore quelques dépendances attenantes à la demeure puisque le grand maître des Eaux et Forêts de Bourgogne François Soyrot (mort en 1712) résidait dans l'une d'elle en 1689. Débuta alors une première campagne de travaux qui vit l'édification de l'aile en retour d’équerre. Quelques années plus tard lui fut adjoint le corps de logis principal. Il fit refaire ensuite le mur et la porte cochère et enfin créa vers 1725 un petit jardin de buis taillés avec une allée en sable et une fresque réalisée par un artiste italien sur le mur situé face à la porte cochère. Une fois les travaux terminés, le doyen Pouffier transféra ces appartements dans le logis principal donnant sur les jardins et consacra le reste de ça vie à la création de l'Académie des Sciences des Arts et Belles-Lettres. Devant les réticences des ces collègues du parlement, Pouffier rédigea alors un testament à la date du 1er octobre 1725 dans lequel il stipulait que son hôtel servirait à la création de cette Académie une fois son décès survenu. Il précisait également que le mobilier devait rester en place, que les communs devaient être relevés d'un étage et que les doyens devaient habiter dans l'hôtel.


Portrait de Hector-Bernard Pouffier
(1658-1736)


A ça mort malheureusement, toutes ces dispositions ne furent pas respectées. En effet, il fallut attendre le 17 janvier 1741 pour que les directeurs de l’Académie des sciences (à savoir messieurs Lantin, Vitte, Quarré, Thomas et Burteur) et les académiciens rassemblés dans l'hôtel Pouffier décide de l'ouverture de l'Académie. De plus, les doyens ne souhaitant pas résider dans l'hôtel, il fallut dés 1747 louer les bâtiments. L'argent obtenue comme le précisait Pouffier dans son testament fut reversé au pauvre de l’hôpital. On vit alors se succéder Edme-Étienne Champion de Nansouty jusqu'en 1755 puis Claudine Paporet, veuve de François Hancquetin de Belleville jusqu'en 1763. Pendant ce temps, l’Académie prenait ces marques et couronnait "le Discours sur les sciences et les arts" de Jean-Jacques Rousseau en juillet 1750. Les rapports entre cette institution et les locataires de l'hôtel s'étant dégradés depuis que Jean-Marie Bouhier Bernardon (1723-1798) avait fait ajouter au bail une condition interdisant aux Académiciens de passer par les appartements du rez-de-chaussée pour se rendre à la salle des séances située à l'étage, ces derniers achetèrent donc en 1773 l'hôtel Grandmont situé rue Crébillon et déménagèrent définitivement pour ce lieu.

Ayant fait construire pour rien un escalier à trois volées droites dans la partie sud du logis principal, Bouhier-Bernardon fit également édifier un nouveau jardin avant de s'installer ailleurs. Acheté par le trésorier Jean-Claude Jobard et ça femme en janvier 1788, l'hôtel leur coûta à cette époque la somme de 32 000 livres. Probablement trop cher pour eux, ils louèrent en mai de la même année une partie de l’aile droite à l'apothicaire Louis Caillet, qui y tint son commerce. La crise financière qui s’abattit sur la France durant la révolution les obligea à vendre l'ensemble de l'hôtel en avril 1795. Acheté par le cafetier François Davier, les Jobard gardèrent néanmoins les communs et les firent surélever d'un étage. Mise en vente en 1803 cette partie de l'hôtel fut acheté par Nicolas Morisot (1754-1816), président de chambre à la cour impériale. Commença alors pour cette famille, une période prospère qui lui permit de reconstitué progressivement l'ancien hôtel Pouffier. Ce travail entamé par Nicolas fut poursuivit par Anne-Marie Morisot ça seul héritière. Elle devint ainsi propriétaire du corps de logis, de la cour et des communs et put reconstituer l'ensemble de l'hôtel. Marié à Henri Catherin Brenet, cette dernière n’eut qu'une fille Marie-Therese-Elise qui devint propriétaire de l'hôtel en 1851.


Blason de la famille Pochon

Ayant épousé Élisabeth-François Pochon de La Cuisine (1795-1876) cette dernière transmit la demeure à son époux et à ça descendance. Ayant occupé les postes de président de la cour impériale de Dijon et de président de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres, Elisabeth François fut également l'auteur du "Parlement de Bourgogne depuis son origine jusqu'à sa chute". Epris d'art, c'est probablement à lui ou à son fils, Henri-François-Samuel Pochon de La Cuisine (président à la Cour Impériale, mort en 1891), que l'on doit la décoration du salon situé à l'étage et du plafond orné de putti musiciens et de corbeilles de fleurs. Monsieur de la Cuisine fils n'ayant pas eu d'enfants, ces neveux vendirent l'hôtel le 6 juillet 1892 à Charles-Léon Trivier, un célèbre brasseur lorrain. Peut de temps après, Trivier demanda à l'architecte Albert Leprince d’aménager l'hôtel afin de le louer au cercle militaire des officiers de la garnison de Dijon. N'étant resté que peut de temps dans les lieux, les soldats cédèrent leurs places à une annexe de l'école Saint-François de Sales durant la première guerre mondiale puis au siège des œuvres diocésaines en 1925. Inscrit au monument historique depuis 1959 et restauré l'année suivant, l'hôtel était occupé, il y a encore peut par l'office des anciens combattants et victimes de guerre.


Donnant sur la rue d'Assas, le porte cochère que l'on voit, est le fruit des travaux réalisé par Hectore-Bernard Pouffier au tout début du XVIIIeme siècle. Epaulé par deux murs couronnés de balustrades, ce porche en plein cintre se termine par un fronton triangulaire. De faut pilastres surmontés de triglyphes et une agrafe à tête d'homme barbue complète la décoration de ce portail. De l'autre coté de ce mur, la cour est ornée d'un jardin s'inspirant de celui créer par Pouffier. Sur l'un des murs se voit encore la fresque réalisée par un peintre italien. Constitué d'une aile en retour d’équerre et d'un corps de logis principal, l'hôtel est accessible au moyen d'un escalier à trois volées droites situé dans la partie sud du logis. S'élevant sur deux niveaux, il est éclairé par de belle fenêtre et par des lucarnes cintrées au niveau des combles

Datant du milieu du XVIIeme siècle, la cheminée en bois sculpté est l'élément le plus ancien encore en état dans l'hôtel. Elle laisse apparaître les armories de la famille Pouffier qui est "De gueules, à un pot à trois pieds, rempli de fleurs d'argent" et de la famille Mucie qui est "D'azur à la croix fleuronné, le pied fiché dans un cœur, le tout d'or". Notons également le beau salon datant de la fin du XIXeme siècle et orné d'un plafond présentant des putti musiciens et des corbeilles de fleurs.