DIJON (21)
Hôtel Lory
(voir la page d'accueil de Dijon)


A voir la succession de façade quasiment contemporaine, qui s'aligne le long de la rue Vaillant, on est loin de ce douter qu'en ces lieux existaient, il y a fort longtemps une antique église dédiée à Saint-Vincent. Mentionné pour la première fois vers 572, dans l'histoire des Francs, de Gregoire de Tours, cette église devait plutôt ressembler à une simple chapelle baptismale. Construite vers 375 pour Urbain, évêque de Langres, cette chapelle fut l'un des tout premier lieu de culte existant à Dijon. La découverte assez récente, d'un fragment de colonne antique en granit, dans la cour du 3 rue Vaillant montre de plus, que l'évêque de Langres réemploya du matériel romain pour édifier son baptistère. Lassé de faire la navette entre les deux villes, les évêques de Langres entreprirent alors la construction d'une résidence confortable à proximité immédiate de la chapelle. Edifiée avant 480 par l'évêque Apruncule, ce palais fut par la suite utilisé par la majorité des évêques durant leurs séjours à Dijon. Il accueillit Grégoire de Langres (446-539), qui passa la plupart de ces nuits en oraison dans la chapelle voisine et fut habité ensuite par une vingtaine d'évêque en trois siècles.


Devenue vétuste, cette résidence fut peut à peut délaissée et fut finalement brûlée lors de l'incendie de 1137. Elle aussi en mauvais état, la chapelle Saint-Vincent continua malgré tout à fonctionner et fut consacré en 863 si l'on en croit les recherches de l'abbé Fyot. Peut après, pour faire face à la menace d'une incursion Normande, l'évêque Gélion céda vers 888, la chapelle et le palais aux religieux de Saint-Benigne afin qu'ils y mettent en sécurité les reliques de leur saint. Se proposant également de restaurer le baptistère et la résidence, ces religieux firent construire en plus quelques logements pour leurs servir de retraite. N'ayant réalisé aucune restauration, la chapelle leurs fut bientôt reprise par l'évêque Argrin et donné en 906 à Rathier abbé de Saint-Etienne et à son neveu Aldefred afin qu'ils y fassent les travaux nécessaires. Revendiqué vers 912 par Godrade, abbé de Saint-Benigne afin que soit déposé à nouveau les reliques de Saint-Benigne, la chapelle lui fut rendue par Garnier évêque de Langres après qu'un accord ait été passé avec l'abbé de Saint-Etienne. La menace d'une nouvelle invasion Normande étant trop grande, les reliques furent finalement envoyer à Langres et la chapelle fut rendue à l'abbaye de Saint-Etienne.

Délaissé par ces derniers au profit d'une nouvelle église dédiée à Saint-Médard (situé en plein milieu de la rue Vaillant), la petite chapelle Saint-Vincent tomba peut à peut en ruines et ne fut que sporadiquement utilisée pour des messes. Restauré en partie par Garnier de Mailly abbé de Saint-Etienne (1032-1051) elle manqua de peut d’être totalement détruite lors du terrible incendie qui ravagea la ville en 1137 et qui détruisit complètement l'ancien palais des évêques de Langres. Mentionné en 1451 et en 1464 dans une bulle d'indulgence, la chapelle est encore visible sur le plan de la ville de Dijon réalisé par Edouard Bredin en 1574. Utilisé comme simple atelier de menuiserie au XVIIeme siècle elle est à nouveau utilisé par le prêtre Bénigne Joly pour enseigner aux pauvres la doctrine chrétienne. Résidant en compagnie des chanoines de Saint-Etienne et de la Sainte Chapelle dans les maisons canoniales situées cours Saint-Vincent, il entreprit de restaurer vers 1674 cette antique chapelle afin de pouvoir recevoir dignement les pauvres de la ville. Etablissant vers cette période une confrérie placée sous le patronage de la Sainte-Famille de Jésus, il mourut en 1694 et fut exposé dans cette même chapelle. Encore utilisé par le chapitre de Saint-Etienne et très fréquenter par les pauvres, la chapelle fut finalement détruite en 1757 pour des raisons de vétusté.


Plan d'ensemble du groupe Episcopal

Dés lors, il ne restait plus aucune trace de ce site plus que millénaire. Seul restait la cour Saint-Vincent et quelques maisons canonial comme celles occupées par le chanoine Voisin et le chanoine Croke. Mais lorsque survint la révolution et les troubles qui s'en suivirent, la maison fut confisquée et les deux ecclésiastiques furent chassés. Intégrée dans la vente au détail du pourpis Saint-Vincent, la maison fut rachetée le 22 décembre 1790 par Claude Lory pour un montant total de 7 100 livres. Originaire de Pluvault à une vingtaine de kilomètre au sud-est de Dijon, ce personnage de basse extraction semble largement avoir profité des troubles révolutionnaires et fut nommé commandant de la garde nationale du canton d'Auxonne. Ayant fait fortune, il se porta acquéreur en novembre 1790, de l'ancien grenier à sel au 4 rue Turgot pour 15 000 livres. Ayant de gros besoin d'argent, il revendit ce bâtiment à Nicolas Guillaume Bazire en décembre 1795 pour la somme de 50.000 livres. S'étant marié avec une demoiselle André de Dijon, il souhaita se rapprocher de la famille de celle-ci et s'installa donc rue Vaillant.

Voulant mettre ça demeure au goût du jour, il entreprit toute une série de travaux. Il commença par faire appel à la famille Millière pour refaire la maçonnerie et la toiture et employa messieurs Goiffon et Dizier pour la charpente et la menuiserie. Ne comptant pas à la dépense il fit appel au célèbre sculpteur Jérôme Marlet (1731-1810) pour exécuter l'ensemble des boiseries. Ayant précédemment travaillé à l'hôtel Gaulin et au salon Condé du palais des Etats, celui-ci conçu ici un décor essentiellement composé de pilastres, de guirlandes, de mascarons et de trophées. Souhaitant également avoir des lambris peint, Claude Lory demanda au peintre Antoine Courant d'en réaliser. S'étend mit d'accord avec Jérôme Marlet, il employa également son fils le peintre Henri Marlet (1771-1847). Alors élève de l'Académie de Dijon, il confectionna tous les dessus de porte du salon. Une fois la rénovation intérieure achevée, Lory souhaita apporter un peut d’éclat à la façade donnant sur la rue. Il passa à nouveau commande et Jérôme Marlet réalisa pour lui un ensemble de sculptures d'inspiration antique pour la somme de 520 livres. Cette somme vint s'ajouter au 11 000 livres qu'avait déjà dépensé Claude Lory pour refaire entièrement cet hôtel particulier. Malheureusement pour lui, ça fortune ne l’empêcha pas d’être suspecté de trahison et il fut emprisonné à Lyon au début de l'année 1794. Sauvé in extremis par les événements du 9 thermidor (27 juillet 1794), il regagna Dijon et fut contraint de vendre l'ensemble de ces biens peut de temps après.


Portrait présumé de Victor Lagier
Plume et lavis brun
Collection particulière


En effet la grave crise financière qui s'en était suivit, l'avait obliger à trouver rapidement de l'argent, il fut donc obligé de vendre l'ensemble de son patrimoine immobilier pour survivre. Racheté par Mr Clerget durant l’empire, l'hôtel fut revendu par celui-ci en 1842. Acheté par le libraire Victor Lagier (1783- 1857), la demeure resta dans cette famille jusqu'au début du XXeme siècle. Actif de 1817 à 1847, Victor Lagier publia de nombreux ouvrage sur l'art et l'histoire. S'élevant au poste de conseiller à la Cour d'Appel de Dijon, puis à celui de vice-président du tribunal de première instance, son fils Firmin Lagier (1813-1897) fit une brillante carrière et fut le père de Lucie Hyppolite Lagier (né en 1854). Marié à Marcel Gérard Rougé (né en 1851), elle fit un beau mariage puisque son époux fut avocat au barreau de Dijon. Héritant de l'hôtel familial, leurs fils André Rougé (1878-1975) fut lui aussi magistrat et exerça à la cour d'appel de Dijon. Marié avec la fille d'Alphonse Sagot, il eut à son tour un fils prénommé Marcel (1910-1968) qui vint au monde dans cette maison. Exerçant lui aussi au barreau de Dijon, ce dernier ne contracta pas d'union et se retira dans le village de Marigny le Cahouët (21). Devenue vacant, les lieux furent rachetés par différents commerces jusqu’à nos jours.


Cette façade, conçu par l'architecte Millière et décorée par Marlet semble comme comprimé entre les hôtels voisins tant ça largeur est étroite. Réalisé en 1790 et s'élevant sur trois niveaux, cette façade relève du style Louis XVI pour la décoration mais semble quasi contemporaine pour ce qui est de son architecture. Le rez-de-chaussée aujourd'hui occupé par une boutique est percé de deux hautes fenêtres droites et d'une porte cintrée au centre. Le fronton qui la surmonte est décoré d'un médaillon en forme de soleil d'où partent quatre rayons divisant ce fronton en plusieurs quartier. Au niveau intermédiaire, le balcon en fer forgé repose sur un ensemble de quatre grosses consoles de pierre au-dessous desquelles retombe des grappes de raisins avec des feuilles. D'une bonne facture, le travail de ferronnerie du balcon est constitué de motifs en damier, d'anneaux entrelacés et au centre du monogramme de la famille Lory.

Le premier étage, de belle proportion, est éclairé par un ensemble de trois fenêtres droites que surmonte des attiques sculptés. D'inspiration romaine, ces attiques sont ornés de médaillon d'homme et de femme. De forme ovale et s'inspirant des camées antiques, ils sont entourés de rinceaux et de guirlandes de fruits. Placés de part et d'autre, ils encadrent un bas relief figurant deux chiens dévorant de la nourriture déposée dans un plat. Ces deux chiens, un épagneul et un malin, regarde méchamment un rat qui aimerait lui aussi pouvoir manger. A l'arrière-plan, un perroquet perché sur une branche semble commenter ce qu'il voit. Cette scène, sortie de l’imagination du sculpteur, peut être interprétée ainsi : les chiens symboles du pouvoir s’engraissent sur le dos du peuple figuré par le rat et le perroquet.


A la base du deuxième étage, on retrouve un nouveau balcon en fer forgé d'une aussi bonne facture que celui du premier. Constitué d'une succession de vases et de guirlandes, il protège les fenêtres cintrées du second étage. Les agrafes sculptées qui surmonte ces fenêtres sont ornées de feuillages et de fruits. Celle du milieu présente un livre ouvert à la page corné et gravé des lettres V L. Marqué ainsi par Victor Lagier, ce livre fait référence au métier de libraire qu'exerçait cette personne. A cet ensemble sculpté déjà très riche, Marlet ajouta sous la corniche des combles une frise orné de rinceaux. Il plaça également un médaillon à tête de femme et deux sortes de chien qui semble prisonnier des rinceaux. A cela il ajouta au niveau de la toiture, un couronnement sculpté avec bas-relief et groupe sculpté malheureusement invisible depuis la rue. Le bas-relief, lui aussi d'inspiration antique, reprend le thème du serment des guerriers devant l'autel de la patrie. Il fait référence à la fête de la Confédération des gardes nationales qui avait eu lieu "cours du parc" le 18 mai 1790. Au-dessus, l'enfant posé sur les ailes d'un aigle s’apprête à jouer de la trompette. Il symbolise la Renommé et le principe de la Fédération se répandant de ville en ville.

Tout aussi symbolique et charger de détail, la décoration intérieure des appartements fut, elle aussi confier à Marlet père et fils. Se concentrant surtout dans le grand salon et dans la bibliothèque, cette décoration est constituée de frise, de guirlandes, de feuillages, de mascarons, de pilastres, de trophées et d'entrelacs. On y voit aussi des lambris peints richement dorés et des dessus de porte. Ceux-ci, exécuté par Henri Marlet sont traité en camaïeu et représente des bacchanales antiques.