ENNEZAT (63)
Eglise collégiale Saint-Victor et Sainte-Couronne


Même si aucun texte ne nous parle d'un établissement religieux avant le Xème siècle, il est utile d'aborder l'histoire de la commune à cette époque afin de bien appréhender la suite des événements. La région, qui était autrefois sous domination des ducs d'Aquitaine, fût, en 954, le théâtre d'un fait historique marquant.

C'est à cette époque en effet que Guillaume III "Tête d'Etoupe", comte de Poitiers, d'Auvergne et duc d'Aquitaine, rassembla, lors d'un plaid, les Grands d'Auvergne (les "seniores arvernensi") afin que ceux-ci lui jurent fidélité et lui facilitent ainsi la reconquête de Poitiers. Au milieu du siècle suivant (vers 1060), c'est à nouveau un duc d'Aquitaine qui se rend à Ennezat pour fonder cette fois si un chapitre de douze chanoines qui ne tarderont pas à bâtir une église collégiale dans le style roman. Ce duc, qui n'est autre que Guillaume VI d'Aquitaine, plaça l'église sous le vocable de Saint-Victoire et Sainte-Couronne en souvenir de ces deux martyrs syriens. Malgré sa pureté de ligne et un plan d'ensemble quasiment parfait, l'édifice fût mutilé par l'adjonction de chapelle dès les années 1200. Même si la petitesse du bâtiment est à mettre en cause, il faut surtout avoir à l'idée que la population d'Ennezat avait considérablement augmenté tout au long du XIIIème siècle. La création d'une ville neuve aux environs de 1265-1270 par Alphonse de Poitiers précipita probablement les événements. Il faut voir, dans cette expansion démographique, l'origine de la création du choeur gothique de l'église. Même si les travaux qui avaient été menés au début du XIIIème siècle avaient modifié la physionomie de l'église, c'est surtout à partir de 1278 que les plus gros changements survinrent lorsque le chanoine Aymeric de Montgascon fit une donation pour reconstruire l'ensemble du choeur dans le style gothique méridional.

Les travaux entrepris durèrent de la fin du XIIIème siècle jusqu'au tout début du XVème siècle. Ils permirent de réunir la nef romane avec le choeur gothique. Malgré le contraste saisissant qu'il y a entre la nef en arkose et le chevet en lave de Volvic, il ne semble pas qu'un quelconque projet de reconstruction total de l'édifice ait été un jour envisagé. Les difficultés financières rencontrées dès le début du XIVème siècle sont aussi à mettre en avant pour expliquer l'abandon d'un projet qui aurait couté bien trop cher aux chanoines de la collégiale. Afin d'eclaircir un peu le chevet et le vaisseau central, deux peintures murales fûrent commandées dans le premier quart du XIVème siècle. La première, représentant le Jugement Dernier, est datée de 1405. La seconde fût commandée par le chanoine Robert de Bassinhac en 1420. Elle représente les"Dict des trois morts et des trois vifs". Durant les siècles suivants, pratiquement aucun travaux ne vinrent modifier l'aspect général de l'édifice. Il fallut attendre le milieu du XIXème siècle pour que d'importantes restaurations modifient une nouvelle fois la physionomie de l'église. Ces travaux fort contestés débutèrent vers 1846 par le mur du narthex et furent terminés vers 1870 par la tour centrale. La façade occidentale fût elle aussi complètement refaite dans le dernier quart du XIXème siècle.



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D'aspect assez disgracieux, la collégiale est le fruit d'un assemblage entre une nef et un transept roman en arkose et un choeur gothique en lave noir de Volvic. Cet effet déplaisant est encore accentué lorsque l'on regarde la façade occidentale du XIXème siècle. Outre l'emploi de ces deux pierres de façon peu harmonieuse (superposées les unes sur les autres), cette façade est percée de fenêtres et d'une rosace en son centre qui donne à l'ensemble un côté "bancal" encore amplifié par le décor polychrome encadrant la porte et les fenêtres. Heureusement, cette impression est estompée lorsque l'on progresse le long du flanc gauche jusqu'au transept (le flanc droit fût malheureusement abimé par l'adjonction au XIXème siècle d'un portail en lave noir). Cette partie de l'édifice est constituée d'un narthex qui précède les quatres travées de la nef visible de l'extérieur par les arcatures et par les fenêtres. Les bras du transept sont surmontés en leur centre par un petit massif décoré d'arcatures, de colonettes et de chapiteaux. Au-dessus est posé le clocher roman à deux étages de plan octogonal. A la suite de cette partie romane prend place un long vaisseau à deux étages percés par des baies trêflées de style flamboyant. Un chevet à cinq chapelles rayonnantes en lave noire termine l'ensemble du monument. Cette partie datant du début du XIVème siècle est ornée par de belles gargouilles zoomorphes et elle est percée par de fines lancettes quadrilobées (trois pour chaque chapelle).




Malgré la disparition du clocher-porche d'origine, le narthex a belle allure grâce, notamment à la double-baie du premier étage qui demeure le seul élément datant encore du XIème siècle, la partie basse du narthex ayant été reconstruite au XIXème siècle.
En progressant jusqu'à la nef romane, on s'aperçoit que celle-ci est franchement étroite (à peine 4 mètres de large) et qu'elle n'a que quatre travées de long. Au-dessus, la voûte en berceau cintré est soutenue par les demi-berceaux des tribunes. Celles-ci s'ouvrent par des baies jumelées coupées en deux par de fines colonnettes. Soutenant l'ensemble, de grosses piles carrés sont cantonnées par des colonnes sur trois de leurs côtés. Ces colonnes s'élèvent jusqu'au niveau des arcades et sont décorées en leurs sommet par une série de chapiteaux historiés ou végétaux. Epaulant le tout, les bas-côtés sont voûtés d'arêtes et sont percés de fenêtres qui éclairent l'ensemble de la nef.
Couverte d'une coupole sur trompe reposant sur des arcs diaphragmes percés de baies en plein cintre, la croisée du transept est contrebutée par une travée voûtée en demi-berceau. Les bras du transept sont voûtés d'un quart de cercle pour l'un et surmontés d'un berceau pour l'autre. Fermant le tout, les murs sont ornés d'un triplet comprenant un arc en mitre encadré par deux arcs cintrés.




Accolé à la partie romane, le vaisseau central est comme un prolongement gothique de la nef. Constitué de trois travées et de bas-côtés, l'ensemble est couvert d'une voûte sur croisée d'ogives. Afin de soutenir le tout, les architectes du XIVème siècle utilisèrent des piliers losangés constitués de deux colonnes principales et de dix colonnettes (comme à la cathédrale de Clermont-Ferrand). Le décor de ces colonnettes est composé de chapiteaux en forme de couronnes de fleurs qui viennent rejoindre les arcs d'ogive. Au-dessus prennent place de grandes baies à triple lancettes qui viennent éclairer tout l'avant-choeur.
Entouré par un déambulatroire qui donne accès à cinq chapelles contigües, le choeur, de plan hexagonal, est surmonté d'une voûte d'ogive sexpartite éclairée par une fenêtre et retombant sur des piliers ronds à colonnettes terminés par des corbeilles de frises végétales.




Même si la partie gothique du monument dispose de quelques éléments sculptés comme les culots, les clés de voûte ou les chapiteaux à motifs végétaux, c'est surtout dans la nef romane que se concentre la plupart des sculptures de l'église. Surmontant les colonnes, ces chapiteaux se divisent en deux catégories. La première se concentre autour de motifs végétaux aussi divers que des entrelacs, des feuillages, des palmettes, du lierre, des épis ou bien encore des masques rappelant l'inspiration antique des sculpteurs. La deuxième catégorie est dominée par le chapiteau dit "le supplice de l'usurier". Sur celui-ci apparait un avare tenant sa bourse autour du cou et au niveau de la taille une banderole portant l'inscription suivante CANDO USURAM ACCEPISTI OPERA MEA FECISTI qui signifie "en pratiquant l'usure, c'est pour moi que tu travailles". Même si le coté moralisateur du chapiteau est assez unique dans l'église, il peut être inscrit dans la lignée de celui représentant des hommes secouant des arbres ou celui montrant des oiseaux pillant les récoltes.

La partie gothique du monument conserve deux panneaux peints datant du premier quart du XIVème siècle. La première fresque datée de 1405 se trouve dans la première travée du collatéral droit. Commandée par le curé Etienne Aurel, cette peinture à la cire représente le Jugement Denier. Sur un fond rouge se détache au centre le Christ assis sur son trône. Au-dessus se tiennent des anges sonnant de la trompe. De part et d'autre du Christ se trouvent Saint-jean et la Vierge guidant des groupes d'apôtres. Tandis qu'à l'extrême gauche on retrouve le donateur en prière, de l'autre côté, on voit Saint-Michel poussant un damné en enfer. Au-dessous de la scène est représenté un squelette sortant de son cercueil.

L'autre peinture de 1420 est installée dans la deuxième travée du collatéral gauche. Commandée par le chanoine Robert de Bassinhac, cette fresque a pour sujet le "Dit des trois morts et des trois vifs". La partie supérieure est consacrée à cette légende funèbre dans laquelle sont mis en scène trois jeunes cavaliers et trois squelettes effectuant une danse. La partie inférieure de la composition s'oriente autour des membres de la famille de Robert de Bassinhac qui prient tous ensemble une Vierge de majesté.