LA CHAISE-DIEU (43)
Eglise abbatiale Saint-Robert



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Statue en bois polychromé
de Saint-Robert de Turlande

L'origine et l'histoire de ce lieu sont étroitement associées à celles de Robert de Turlande. Celui-ci naquit vers l'an 1001 à Pierrefort dans une riche famille Auvergnate. Peu intéressé par le métier des armes, ses parents le placent en 1018 chez les chanoines de Brioude. Devenu chanoine et ordonné prêtre en 1026, il entreprend de faire construire un hôpital pour les pauvres et les pélerins grâce à l'argent familiale. La surpopulation que connaissait Brioude à cette époque le décida à effectuer un pélerinage au Mont Cassin en Campanie (Italie) afin d'y étudier la règle de Saint-Benoît. De retour de ce voyage, il s'installa dans une zone boisée et montagneuse à la date du 28 décembre 1043. Ce lieu, qui s'appela tout d'abord "Casa Dei", nous est parvenu sous le nom de La Chaise-Dieu. En 1050, les travaux d'édification du monastère étaient terminés. En 1052, grâce au soutien de son oncle qui était évêque de Clermont, Robert part demander au roi de France Henri Ier, un diplôme de protection pour lui et ses compagnons. A partir de cette date, il parcourait le massif central dans tous les sens et y fonda une cinquantaine de lieux de prière dont, entre autre, l'abbaye de Lavaudieu. A la mort de Robert de Turlande, le 17 Avril 1067, La Chaise-Dieu compte environ 300 moines et attire déjà un grand nombre de pélerins. En 1070, le pape Alexandre II le canonisa. Lui et l'abbaye seront désormais connus sous le nom de Saint-Robert.


En 1095, l'église abbatiale est consacrée par le pape Urbain II. Peu de temps après, l'abbaye va jouer les banquiers auprès des chevaliers voulant partir en terre sainte lors de la première Croisade lancée par le même Urbain II. Malgré l'argent ammacée et les terres achetées par les moines de l'abbaye, ceux-ci ne s'éloignèrent pas de la doctrine lancée par Saint-Robert. Durant près de deux siècles, l'abbaye fût prosperte et les moines suivèrent scrupuleusement les préceptes de l'ordre. En 1302, l'abbaye vit arriver dans ses murs le jeune Pierre Roger de Beaufort qui y passa plusieurs années durant sont adolescence. Devenu docteur en théologie en 1323, celui-ci se vit succesivement confier les évêchés d'Arras de Sens et de Rouen. Il fût finalement nommé cardinal en 1339 et accéda enfin aux plus hautes fonctions puisqu'il fût élu pape en 1342. Connu dès lors sous le nom de Clement VI, celui-ci n'en oublia pas pour autant ses origines et décida en 1344 de reconstruire entièrement l'abbaye de La Chaise-Dieu. Il fit appel pour cela à l'architecte languedocien Hugues Morel qui était aidé dans son travail par Pierre Falciat et Pierre de Cébazat. Au même moment, Clement VI qui résidait en Avignon faisait presque entièrement restaurer le Palais des Papes.Les travaux de l'abbaye débutèrent dès 1344 et furent presque terminés en 1351. Pour édifier ce superbe monument du gothique méridional, Hugues Morel dû détruire l'ancienne église romane et commença les travaux par le chevet puis le choeur et enfin la nef. Comme il l'avait decidé de son vivant, la dépouille du pape Clement VI fût ramenée à La Chaise-Dieu aprés son décès survenu le 6 décembre 1352. De son vivant, il avait confié au sculpteur Pierre Boye la réalisation de son gisant qui se trouve dans le choeur des moines.

Portrait de Clement VI par Henri Ségur
Palais des Papes Avignon



Son neveu, Grégoire XI, prit les commandes du saint siège et fit terminer les travaux d'achèvement de la tour Clémentine et de la nef. L'ensemble des travaux de l'abbatiale prirent fin en 1377. Peu de temps après, l'abbé André Ayraud de Chanac entreprit la construction du cloître gothique qui dura environ de 1378 à 1420. Au cours du XVème siècle fût construit le jubé flamboyant qui coupe l'intérieur de l'église en deux et les fresques de la Danse Macabre peintes vers 1460 sous l'abbé Hugues de Chauvigny. Les travaux du cloître furent terminés sous le mandat de l'abbé Jacques de Saint-Nectaire (entre 1491 et 1518). Durant cette période, il commanda également la réalisation des 144 stalles en chêne que l'on peut admirer dans le choeur ainsi que les superbes tapisseries se trouvant au dessus des stalles. A la mort de Jacques de Saint-Nectaire en 1518, les abbés sont directement élus par le roi. Avec cette nouvelle ère débutait la décadence de l'abbaye puisque bon nombre d'abbés ne résidaient plus à La Chaise-Dieu. Parmi ceux-ci, citons Henri d'Angoulême, Charles d'orléans, Richelieu, Mazarin ou le cardinal de Rohan. Durant l'été 1562, en pleine guerre de religion, une troupe protestante investit l'abbaye et saccagit tout sur son passage. Les moines qui résidaient dans les lieux furent obligés de s'abriter dans la tour Clémentine en attendant que les troupes royales viennent les délivrer. Les dégâts causés par les troupes Huguenotes furent considérables. Ils saccagérent entre autre le tombeau du pape Clement VI ainsi que les reliques de Saint-Robert. La déchéance inéluctable de l'abbaye fût quelque peu adoucie lors du rachat des lieux par la Congrégation de Saint-Maur en 1640. En effet, vers 1683 fût entreprise la construction d'un buffet d'orgue en pin sculpté. Cette période d'accalmie fût de courte durée puisque, à la révolution, les moines fûrent jetés dehors et les bâtiments fûrent vendus à l'exception de l'église abbatiale. Le XIXème siècle vit l'abandon complet du monument. Il fallut attendre 1945 et la fin de la seconde guerre mondiale pour que des travaux de restauration soient entrepris. Depuis, la communauté Saint-Jean qui y réside et le célèbre festival de musique sacrée ont redonné à ce lieu un peu de sa gloire d'antan.


La façade occidentale de l'église est précédée par un monumental escalier en forme d'éventail construit en 1758. Cette façade si massive est caractéristique du gothique Languedocien. Elle se compose de deux tours excessivement petites qui encadrent un portail finement sculpté. Ces tours sont percées dans leurs parties inférieures par de belles fenêtres à lancette et sont ouvertes en leur sommet par des baies géminées. Le niveau intermédiaire de la façade est parcouru par une galerie qui devait faire office de chemin de ronde. En dessous, sont disposés trois arcs de renforts accentuant l'aspect monumental de la façade. Un oculus quadrilobé rajouté vers la fin du XIXème siècle surmonte le portail principal. Celui-ci perdit une grande partie de ses sculptures lors des ravages menés par les Huguenots en 1562. Néanmoins, cette oeuvre réalisée en pierre de Volvic par Pierre de Cébazat vers 1349 reste un bon témoignage de la sculpture gothique. Ce portail est composé d'une série de trois voussures de forme ogivale abritant des dais. En dessous prennent place les six niches des piedroits. Celles-ci étaient ornées à l'origine par des statues. Il ne reste malheureusement aujourd'hui que les dais les surmontant. Entre les deux portes, le trumeau est orné d'une statue de Saint-Robert. Du tympan ne nous sont parvenues que les dais tandis que le linteau ne conserve qu'une partie de ses sculptures.


Le flanc gauche est percé de fenêtres étroites séparées les unes des autres par de massifs contreforts aux sommets desquels sont sculptées de fines gargouilles. Cet aspect massif est quelque peu atténué au niveau du flanc droit puisque celui-ci est orné par l'une des galeries du cloître. L'extremité de ces façades latérales est terminée par un chevet gothique à la fois massif et très élevé composé de cinq chapelles. Ce chevet est percé par des séries de trois lancettes partagées par des contreforts en bâtières. L'ensemble est surmonté par une épaisse corniche moulurée et par quelques jolies gargouilles.


La tour (que l'on appelait du "vestiaire" ou de la "Trésorerie" et que l'on nomme de nos jours "tour Clémentine" en l'honneur du pape Clément VI) fût construite sous le mandat de l'abbé Jean de Chandorat (vers 1355). Accolée à l'une des chapelles du chevet, cette tour, de plan carré, est un magnifique élément de protection où les moines se réfugièrent durant le saccage Huguenots de 1562. Elle se compose de trois étages surmontés par des machicoulis en encorbellement. Chaque étage est percé par des meurtrières et par de petites fenêtres en plein cintre. Sur la façade ouest est disposée une tourelle d'escalier percée de meurtrières et terminée par un machicoulis en encorbellement. L'ensemble de la tour est maintenu dans ses angles par de puissants contreforts et par des arcs-boutants.


Un cloître roman existait probablement avant que celui-ci ne le remplace. Construit en pleine époque gothique, ce cloître ne dispose plus que de sa galerie nord et de sa galerie ouest. Sur les clefs de voûte de la galerie nord figurent les armoiries de l'abbé André Ayraud de Chanac (ce qui nous laisse penser que c'est sous son abbatiat, entre 1378 et 1420, que fûrent construites les quatres premières travées de cette galerie. La galerie ouest fut probablement construite sous l'abbé Béraud de Beinay. Le reste du cloître fut terminé vraissemblablement sous l'abbé Jacques de Saint-Nectaire entre 1491 et 1518. Les deux galeries restantes sont assez semblables. Elles possèdent des baies géminées doubles terminées par des trèfles que surmontent des oculus quadrilobés. De fines colonnettes sans décor sculpté soutiennent chacune de ces baies. Sur les voûtes des deux galeries sont disposées des clefs figurant entre autre les armes des abbés ainsi qu'une Vierge à l'Enfant. Trois portes permettant l'accès au choeur et aux bâtiments conventuels sont également visibles dans les galeries. Ces portes de style flamboyant sont composées d'un tympan, de piédroits, de voussures et sont terminées par des pinacles.


Bâtie sur le modèle des "églises-halles" de l'ouest de la France, cette église possède une grande nef à neuf travées, un choeur à cinq chapelles et elle est dépourvue de transept. La lumière intérieure vient des fenêtres des collatéraux qui éclairent l'ensemble de la nef. Ces collatéraux sont à la même hauteur que la nef et possèdent comme celle-ci des voûtes d'ogives. D'énormes colonnes sans chapiteaux soutiennent l'ensemble de la voûte dans la nef. Le choeur est éclairé par des fenêtres à lancette se trouvant dans chacune des chapelles. Ces chapelles sont peu profondes et encadrent le choeur. Au niveau de la quatrième travée de la nef, on construisit vers le milieu du XVème siècle un jubé flamboyant afin de séparer les moines des pélerins. Cette grosse construction est composée de trois arches voûtées d'ogives et décorées de feuillages, le tout soutenant une balustrade. On érigea sous l'arche droite une petite chapelle dédiée à Saint-Robert malheureusement détruite en 1562. Au-dessus du jubé est installé un Christ en croix réalisé par Jean Bonnefoy en 1603. Des statues de Saint-Jean et de la Vierge l'entourent.


Situé au-dessus de l'entrée principale et occupant l'ensemble de la nef, l'orgue et son buffet en pin sculpté fûrent conçus respectivement en 1736 et 1683. La sculpture du buffet est constituée de quatre atlantes soutenant l'ensemble ainsi que des têtes de lion d'où s'échappent des guirlandes de fleurs et de fruits. Au niveau du balcon, on découvre des anges musiciens, des chérubins et les statues de Sainte-Cécile et du roi David. En outre, on peut y voir les armoiries de l'abbé Hyacinthe Serroni qui commanda l'oeuvre vers 1680 ainsi que la signature du sculpteur COX.
L'orgue fût quant à lui conçu par le facteur d'orgue parisien Martin Carouge. Une restauration récente permet notamment de l'entendre lors du célèbre festival de La Chaise-Dieu.


Réalisé dans le premier quart du XVIème siècle et commandé par l'abbé Jacques de Saint-Nectaire, les stalles sont un trésor d'ébénisterie encadrant le choeur des moines sur trois de ses angles. Au nombre de 144 et sculptées dans du chêne, il semble qu'elles aient été conçues par un artiste flamand. La conception de l'ensemble relève de gothique flamboyant. Chaque dossier est constitué d'une série d'arcs d'ogives soutenus par trois colonnettes à chapiteaux. Les cloisons séparant les stalles sont ornées de fines colonnes soutenant les acoudoirs tandis que les "miséricordes" se trouvant sous les stalles sont décorées en majoritées par des feuillages. Un dais sculpté surmonte le tout. L'ensemble est sculpté de chimères ou de moines aux postures étranges.
Tout comme les stalles, la série de tâpisseries qui orne le choeur fût commandée par l'abbé Jacques de Saint-Nectaire. Elles fûrent tissées dans de la laine et de la soie par un artiste venu du nord de la France ou de Flandre vers 1515. Cette série de quatorze pièces (onze dans le choeur et trois dans la tour Clémentine) est ornée d'images tirées de la "Bible des pauvres". On y retrouve les thèmes de l'Enfance et de la Passion du Christ ainsi que le Jugement Dernier et des scènes de l'Ancien Testament. On y voit des scènes tel que l'Annonciation, l'Epiphanie, la fuite en Egypte, la Tentation de Jésus, l'Entrée dans Jérusalem, le Baiser de Judas, la résurrection du Christ...



La Danse macabre qui orne le mur du bas-côté nord est un exemple unique dans le genre. Cette peinture de 26 mètres de long fût réalisée vers 1460 sous l'abbatiat d'Hugues de Chauvigny. Cet ensemble de fresque peint sur fond rouge constitue l'un des rares sujets médievaux traitant de la mort. En effet, outre le fait de nous montrer que tout être humain est mortel, cette composition nous présente près d'une vingtaine de fois la grande faucheuse sous les traits d'un squelette décharné habillé de guenilles. Les vivants qui accompagnent ces spectres sont aussi bien des hauts dignitaires comme le roi, le cardinal, le pape, l'empereur, le moine ou le chevalier que de simples mortels comme le laboureur, le menestrel, le marchand, la dame ou l'enfant. Ces trois panneaux sont extrêmement précieux puisqu'ils nous renseignent non seulement sur la pensée médiévale (tout être humain est mortel) mais également sur les coutumes vestimentaires d'une grande partie de la société de cette époque.
C'est au centre du choeur des moines que le pape Clément VI avait decidé de faire ériger son tombeau. Il fit appel pour cela au sculpteur Pierre Boye qui travailla dessus de 1346 à 1351 en compagnie des artistes Jean de Sanholis et Jean David. Executé dans du marbre provenant d'Italie, cette oeuvre comportait à l'origine le gisant du pape ainsi que six personnages agenouillés et une cinquantaine d'autres répartis entre des arcades. Malheureusement, cet ensemble monumental fût en grande partie détruit par les huguenots en 1562. Aujourd'hui, il ne nous reste que le gisant de La Chaise-Dieu et un petit groupe de personnages conservés au musée Crozatier du Puy-en-Velay. C'est regrettable car Clément VI, lors de la commande du tombeau, avait tenu à y représenter tous les membres de sa famille. Le gisant du Saint-Père est habillé de la tiare et des vêtements dûs à son rang. Deux lions soutiennent ses pieds tandis que ses mains sont jointes. Le visage du défunt se veut réaliste et sans indulgence. Les traits y sont ceux d'un vieil homme au nez busqué portant un double menton et à la peau ridée.